Organisation pratique de l’activité : des quotidiens très différenciés

Le mode d’exercice détermine en premier lieu le quotidien du médecin, son autonomie et la structure de son environnement.

L’exercice libéral : indépendance et polyvalence

  • Gestion autonome de l’agenda : Le médecin libéral gère seul, ou via un secrétariat (physique ou téléphonique), la planification des rendez-vous, la file active, et l’articulation entre consultations, visites à domicile, déplacements en EHPAD ou astreintes.
  • Organisation du lieu d’exercice : Cabinet individuel, en groupe, en maison ou centre de santé pluriprofessionnel. En zone semi-rurale, depuis 2019, 57% des médecins généralistes libéraux travaillent dans des structures pluripro (source : Drees, 2022).
  • Polyvalence logistique : Gestion administrative (comptabilité, URSSAF, facturation, etc.), contrats de secrétariat, entretien des locaux, démarches réglementaires, coordination parfois artisanale avec les intervenants paramédicaux ou structures sociales.
  • Choix des plages horaires : Selon ses disponibilités, mais avec une pression réelle liée à la demande et à la raréfaction de l’offre locale. 89% des généralistes libéraux en zone sous-dotée élargissent leurs plages au-delà de 8h-20h (source : CNAM, 2023).

L’exercice salarié : intégration à une équipe et standardisation

  • Cadre collectif : Souvent en centre de santé, établissement public local, hôpital de proximité, structure associée à une collectivité ou mutuelle. Les horaires sont déterminés par une convention de travail.
  • Appui administratif et logistique : Les tâches de gestion comptable, facturation, gestion des locaux ou commandes de matériel sont prises en charge par l’établissement. Le temps médical pur est mieux préservé.
  • Agenda prédéfini : Avec souvent une part d’activité dédiée à l’équipe (consultations, réunions cliniques, actions de prévention). Moins d’improvisation, moins de souplesse mais davantage de prévisibilité.
  • Collectif pluriprofessionnel : Les réunions interpro font partie du temps de travail. Cette organisation favorise des échanges formalisés (staffs, synthèses, commission de prise en charge), facilitant la coordination dans les parcours complexes.

Rémunération et perspectives économiques : deux mondes

Rémunération en libéral : liberté et incertitude

En secteur 1, la quasi-totalité des généralistes semi-ruraux sont conventionnés. Les revenus varient fortement, selon l’activité, la patientèle, et la capacité à optimiser les différents actes :

  • Moyenne France 2022 : BNC (Bénéfices Non Commerciaux, soit avant impôts et charges sociales) autour de 86 000 à 100 000 €/an (source : CARMF 2023).
  • Variation locale : En zones fortement sous-dotées, certains généralistes dépassent 120 000 €/an, mais au prix de semaines longues (50h-60h/semaine) et de peu de vacances.
  • Charges fixes : Entre 25 % et 35 % du chiffre d’affaires (cabinet individuel), à moduler selon l’intégration en MSP ou centre. Hors investissements matériels et informatiques.
  • Incitations financières : Aides à l’installation (jusqu’à 50 000 € sur 5 ans en zones d’intervention prioritaire, source : CPAM), ROSP (rémunération sur objectifs de santé publique autour de 6000 €/an en 2022 pour les généralistes).
  • Risques : Fluctuations d’activité (maladie, baisse de la demande, vacance d’assistanat), coûts imprévus, absence de couverture maladie professionnelle systématique (hors souscription volontaire aux prévoyances).

Rémunération en salariat : sécurité et plafonnement

  • Salaire brut moyen : Entre 3900 € et 6500 € brut/mois (selon ancienneté, statut praticien contractuel, praticien territorial, médecin coordonnateur, source : FHF, 2023).
  • Avantages : Prise en charge de la retraite, de l’assurance professionnelle, congés payés garantis, arrêts maladie et maternité assurés, ticket-restaurant ou restauration collective, déplacements pris en charge dans certains établissements.
  • Stabilité : Rémunération peu variable d’un mois sur l’autre, moindre dépendance à la pression sur les actes (pas de “course à la consultation”).
  • Limites : Progression salariale plafonnée, possibilité d’heures supplémentaires encadrée et souvent limitée.

En dehors des hôpitaux, les centres de santé gérés par des collectivités proposent parfois des niveaux de salaires supplémentaires (avec primes pour attractivité territoriale allant jusqu’à +20% selon les dispositifs locaux – source : Association des Centres de Santé, 2023), mais cela reste exceptionnel.

Lien à la patientèle et rapport à la communauté

Libéral : relation personnalisée et ancrage fort

  • Patientèle “acquise” : Le médecin libéral suit souvent les familles sur plusieurs générations. La fidélisation induit un engagement fort, mais crée un sentiment de non-remplaçabilité (difficultés à fermer son cabinet, par ex. pour absence prolongée).
  • Initiatives locales : Participation à la vie associative, scolaire, aux conseils municipaux ou CLSPD. Le généraliste libéral est parfois perçu comme une figure du village.
  • Vulnérabilité : La pression des attentes, la difficulté à refuser de nouveaux patients ou à déléguer, favorisent le risque d’épuisement.

Salariat : attachement moins individualisé, travail d’équipe

  • Patientèle “ouverte” : On reçoit parfois en consultation des patients de passage ou suivis par d’autres praticiens du centre. L’attachement à la population existe mais la relation est diluée par l’organisation collective.
  • Positionnement : Moins d’exposition individuelle (le centre de santé ou l'équipe médicale “incarne” la présence médicale). La continuité de soins est structurée par l’organisation et non par le médecin lui-même.
  • Effet de mutualisation : Possibilité de relais lors d’absence, prise en charge partagée des situations complexes, sentiment d’appartenance accentué aux structures plutôt qu’à la localité pure.

Coordination des soins et relations interprofessionnelles

Libéral : initiatives locales, solutions parfois artisanales

  • Grande hétérogénéité : Selon l’environnement, coordination soit fluide (dans les MSP, où l’outil Ségur numérique s’implante peu à peu), soit fragile (isolement rural, peu d’infirmiers Asalée, travail social distant).
  • Rôle pivot du médecin : Le généraliste assure la transmission d’informations (compte rendu, synthèse, relais avec les spécialistes et structures sociales), le plus souvent hors temps médical.»
  • Initiatives innovantes : Par exemple, participation aux Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) qui se développent : à date 1460 CPTS en place sur le territoire national (source : Assurance Maladie, déc. 2023).

Salariat : coordination institutionnalisée

  • Réunions formalisées : Les temps de coordination sont cadrés, parfois hebdomadaires. Les outils numériques et partages d’information sont plus systématiques.
  • Soutien d’une équipe administrative ou de case management : Majoritairement dans les centres de santé ou hôpitaux locaux, les ingénieurs de parcours, assistantes sociales et paramédicaux travaillent sous un même toit.
  • Projets territoriaux et actions de santé publique : Implication plus aisée dans des projets institutionnels (dépistages collectifs, interventions en milieu scolaire, actions “hors les murs”, etc.).

Qualité de vie, équilibre personnel et attrait du territoire

Libéral : autonomie mais pression constante

  • Charge mentale : Même en zone paisible, le sentiment de devoir tout assumer seul et de ne pas pouvoir se déconnecter (astuces, urgences, patients très demandeurs) est un écueil fréquent.
  • Liberté d’organisation : Possibilité de choisir ses horaires, ses congés, son mode d'exercice. Mais dans les faits, moins de congés annuels pris qu’en salariat (moyenne : 3 à 4 semaines vs 5 semaines, source : Drees, 2023).
  • Soutien : L’accès au remplacement ponctuel devient difficile : dans 42% des cabinets semi-ruraux, il n’y a aucun remplaçant identifié (Atlas Drees 2023). Cela pose un problème pour la prise de congés et pour la gestion des imprévus.

Salariat : stabilité, découpage du temps plus net

  • Horaires contractuels : Peu de risque de débordement, sauf exception (astreinte, urgence). Les gardes sont réparties entre plusieurs praticiens si la structure en propose.
  • Séparation vie pro/vie perso : Net avantage en salariat, qui permet de prévoir sereinement congés et temps personnel.
  • Appartenance territoriale : Plus facile d'intégrer des dispositifs d’accueil (logement, crèches, aides à l’installation versées par l’employeur public ou la collectivité).

Freins et attractivité à l’installation pour les nouveaux diplômés

Parmi les internes et jeunes généralistes, l’exercice salarié gagne du terrain : aujourd’hui, plus de 29% des installations de généralistes se font en salariat (contre moins de 10% en 2010 – source : Conseil National de l’Ordre des Médecins, 2023). Les raisons sont multiples :

  • Recherche de sécurité professionnelle et de temps pour soi
  • Moins d’appétence pour l’entrepreneurial et l’administratif
  • Réticences à assumer seul la permanence des soins
  • Attractivité des dynamiques collectives et interdisciplinaires

Au-delà du “choix de mode de vie”, ce sont aussi les inégalités d’accès aux soins qui en dépendent, puisque nombreux territoires semi-ruraux ne peuvent désormais compter que sur la présence de médecins salariés dans des centres territoriaux, faute de candidats au libéral. Localement, certaines collectivités proposent même des “postes mixtes” : une part en cabinet libéral, une part salariée à l’hôpital de proximité.

Perspectives : quels enjeux pour l’avenir de la médecine générale de proximité ?

Entre liberté individuelle, sécurité du collectif, poids de l’administration et nouvelles attentes générationnelles, il n’existe pas de modèle unique idéal. Le paysage évolue rapidement : les initiatives hybrides ou collaborations entre libéraux et salariés se multiplient dans les zones semi-rurales, sous l’impulsion des ARS, CPTS ou collectivités. À moyen terme, la médecine de proximité restera plurielle par nécessité, combinant expertise individuelle et réponses collectives pour continuer d’accompagner les patients sur l’ensemble du territoire. La clé : favoriser un environnement souple, attractif, facilitant la coopération, adaptée aux réalités du terrain, et laissant à chaque praticien la possibilité d’exercer selon ses choix. Un enjeu vital pour l’avenir de l’accès aux soins en France.

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