Introduction : Repenser l’exercice de la médecine générale dans les territoires

En France, la médecine générale traverse une redéfinition profonde. Les frontières entre exercice en cabinet de ville, en structure de groupe, en hôpital local ou en maison de santé deviennent souples. Face à la démographie médicale tendue, surtout dans les zones périurbaines et rurales, de nombreux médecins cherchent à diversifier leur exercice, à la fois en ville et en hôpital local. Mais ce choix soulève des questions concrètes : sous quel statut travailler ? Peut-on cumuler libéral et salariat ? Comment s’y retrouver dans la réglementation ? Quels avantages fiscaux et sociaux ? Cet article vise à cartographier les modalités d’exercice envisageables entre ville et hôpital local, et à donner des clés pratiques pour choisir son organisation.

Quel statut pour exercer en tant que généraliste en hôpital local ?

L’hôpital local, structure clé en proximité, offre aux médecins généralistes trois statuts principaux :

  • Médecin salarié hospitalier : Il intègre la fonction publique hospitalière, sous le statut de praticien contractuel ou de praticien territorial de médecine générale (PTMG). En 2022, près de 11% des médecins généralistes hospitaliers exerçaient sous ce statut dans les hôpitaux de proximité (DREES).
  • Médecin libéral conventionné : L’hôpital local conventionne avec un ou plusieurs généralistes qui exercent à temps partiel ou en vacations, en étant rémunérés à l’acte ou à la vacation. Ce schéma existe notamment pour la permanence des soins et la prise en charge non programmée.
  • Exercice mixte : Certains médecins cumulent activité en établissement et activité en libéral en cabinet ou maison de santé (cf. plus bas, encadrement réglementaire).

Les hôpitaux locaux recherchent souvent cet équilibre, notamment pour renforcer l’attractivité des postes, assurer la continuité des soins, et créer des passerelles entre ambulatoire et hospitalier.

Libéral ou salarié : quelles différences quand on exerce en milieu semi-rural ?

L'exercice en zone semi-rurale ou rurale fait surgir des enjeux spécifiques : faible densité médicale, distances, isolement professionnel, accès aux plateaux techniques, attentes des élus locaux. Le choix du statut détermine des réalités de terrain bien différentes.

Critère Médecin Libéral Médecin Salarié Hôpital Local
Indépendance organisationnelle Oui : gestion libre du planning, choix des patients ; compatible SELARL, SCM, MSP, etc. Non : horaires, congés, activité définis par contrat et organisation hospitalière
Rémunération À l’acte, possibilité de forfaits (ROSP, ACI), variable par patientèle Salaire fixe (grille FPH ou contractuelle), majoré selon missions et ancienneté
Protection sociale Régime indépendant (CARPIMKO), assurance prévoyance en option Protection sociale du régime général, congés payés, maladie et maternité pris en charge
Gestion administrative Forte charge : gestion du cabinet, facturation, compatibilité, obligations fiscales Simplifiée : l’hôpital prend en charge la paie, la gestion RH, les assurances
Risques financiers Risque d’activité (patientèle, impayés, investissements locaux) Risque absent, salaire maintenu
Parcours patient Moins intégré si cabinet isolé ; coordination à construire Travail en équipe pluri-professionnelle, accès direct au plateau technique

En 2021, 17% des généralistes en zone rurale exerçaient déjà, au moins partiellement, sous statut salarié (source : CNOM, Atlas Démographie médicale 2022).

Exercice mixte : cumuler libéral et hôpital local, réalité ou désir d’organisation ?

La tentation est grande pour beaucoup de généralistes d’articuler leurs journées entre cabinet et hôpital. C’est particulièrement vrai dans les territoires à faible densité médicale et pour les médecins souhaitant diversifier leur pratique.

  • La loi HPST (2009, art. L. 6152-5 du Code de la Santé Publique) autorise explicitement le cumul pour les praticiens territoriaux et les praticiens contractuels.
  • Le cumul est aussi possible pour les médecins libéraux chargés d’astreintes à l’hôpital ou d’activités de consultations à temps partiel.
  • L’activité mixte suppose cependant une déclaration préalable (auprès de l’ARS, et de la CPAM si activité libérale), la transparence sur le temps de travail et l’absence de conflits d’intérêts avec les missions exercées dans chaque structure.

Ce schéma, de plus en plus recherché par les jeunes médecins, parfois sur des plannings à la carte ou des contrats courts (CDD, vacations), favorise la variété des activités, la mutualisation des compétences, et permet une souplesse appréciée.

Le cadre réglementaire de l’exercice partagé en médecine générale de proximité

Le cumul de statuts, s’il est facilité sur le plan législatif, doit néanmoins respecter un certain nombre de règles. L’organisation juridique est encadrée de façon précise :

  • Horaires encadrés : Le temps de travail global (ville + hôpital local) ne doit pas excéder 48h hebdomadaires (directive européenne transposée, art. L. 212-1 du Code du travail).
  • Cotisations sociales : Chacune des activités donne lieu à des cotisations spécifiques (URSSAF pour le libéral, CPAM + DGFIP pour l’hospitalier).
  • Clause de non-concurrence : Certains contrats hospitaliers imposent des limitations géographiques, ou interdisent de reprendre des patientèles issues à l’hôpital.
  • Responsabilité médicale : Deux assurances doivent couvrir l’activité (RC pro libéral et hospitalière distinctes).
  • Déontologie : Obligation déclarative vis-à-vis du Conseil de l’Ordre.

Ces contraintes restent parfois un frein, mais elles structurent un exercice partagé qui, s’il est anticipé et bien documenté (modèles de contrats, assistance juridique, conseils de l’Ordre), se met en place sans difficulté majeure.

Quels avantages fiscaux et sociaux choisir l’établissement de santé local ?

Le salariat en hôpital local offre certains bénéfices non négligeables pour le praticien :

  • Sécurité de l’emploi : Rémunération stable, congés payés, protection contre l’aléa de la patientèle.
  • Protection sociale complète : Prise en charge des arrêts maladie dès le 1er jour, maternité/paternité, prévoyance.
  • Pas de complications fiscales : Impôt sur le revenu prélevé à la source, absence de déclarations complexes ou d’acomptes anticipés.
  • Mutuelle obligatoire, prévoyance institutionnelle : Offertes par l’hôpital, là où le libéral doit souvent souscrire à titre personnel (et à coût élevé).

Points à retenir : Selon la grille FPH 2023, un médecin généraliste contractuel à plein temps démarre à un salaire brut annuel de 58 000 € (hors indemnités de gardes), auquel peuvent s’ajouter des primes d’engagement territorial (jusqu’à 20 000 € sur 2 ans) pour les zones à faible densité (Ministère de la Santé).

Débuter en libéral : MSP ou cabinet isolé ? Questions pratiques

Pour un généraliste s’installant en zone sous-dotée, les alternatives sont aujourd’hui nombreuses, grâce au développement des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), des centres de santé associatifs ou des cabinets isolés. Recommandations essentielles :

  1. Bilan démographique : Utiliser les données INSEE, ARS, Ordre pour évaluer la densité médicale et la patientèle potentielle. Un territoire est considéré comme sous-doté si l’APL (accessibilité potentielle localisée) est < 2,5 médecins pour 10 000 habitants (DREES).
  2. Aides à l’installation : PTMG, contrat d’aide à la première installation (jusqu’à 50 000 € sur 2 ans), exonération CFE, renfort CPAM pour le démarrage administratif.
  3. Organisation du temps : S’adapter à la demande locale, prévoir la permanence des soins, articuler avec les infirmiers/kinés…
  4. Gestion administrative : Privilégier, si possible, l’adossement à une MSP (mutualisation des secrétariats, informatique, facturation AMC), ou collaboration en association statutaire (SCM, SCP…).

Anecdote du terrain : dans le Cher, une nouvelle MSP ouverte en 2022 a permis d’attirer trois jeunes généralistes qui ont mutualisé charges et gardes, et augmenté, en un an, de 30 % la file active du secteur (Le Monde, 2023).

L’exercice mixte, une priorité dans la politique des territoires fragiles : le soutien institutionnel

L’État et les ARS multiplient aujourd’hui les incitations à l’exercice partagé, dans l’idée de résoudre la crise d’accès aux soins :

  • Contrats territoriaux : PTMG (Praticien Territorial de Médecine Générale) ou PTMR (Praticien Territorial de Médecine Rurale) ; soutien financier mensuel et facilitation du cumul.
  • Prime d’exercice mixte : Jusqu’à 1 000 € brut par mois en cumulant cabinet libéral et hôpital local, dans certains territoires prioritaires (Assurance Maladie).
  • Appui logistique : Contrats avec la CPAM pour simplifier la facturation, coordinations territoriales, outils de gestion mutualisés.

Cette politique traduit une volonté nationale de transformer le travail médical en proximité : le rapport Guibert-Lassale (2023, IGAS) insiste sur la nécessité d’assouplir les statuts et appelle à la reconnaissance du « médecin passerelle », clé du système local de santé.

Médecin remplaçant en hôpital local : quel cadre juridique ?

Le remplacement hospitalier — gardes ponctuelles, CDD courts, vacations — s’est largement développé depuis la crise Covid, notamment dans les hôpitaux locaux. Pour les remplaçants :

  • Contrat de vacation ou de remplacement : Obligatoire ; il définit la durée, les missions, la rémunération.
  • Enregistrement à l’Ordre et à la CPAM : Indispensable pour facturer et être assuré.
  • Responsabilité civile professionnelle : Vérification de la couverture spécifique (qui peut différer de celle du statut libéral).
  • Protection sociale : Pas d’indemnité maladie ou maternité pour les remplaçants en vacation isolée, contrairement au statut salarié.
  • Clauses contractuelles : À négocier, notamment sur l’organisation du temps, la prise en charge d’astreintes, la continuité des soins après le départ.

A noter : selon la CNISG, plus de 2 500 vacations généralistes ont été proposées en 2022 en hôpital local, ce qui témoigne d’un besoin structurel croissant.

Gestion quotidienne : responsabilités administratives et articulation des rôles

Cumuler une activité en cabinet et en hôpital local demande de clarifier ses tâches et de bien organiser son temps. Trois grands défis reviennent régulièrement :

  • Facturation : Séparer la gestion du chiffre d’affaires libéral (tiers payant, AMO/AMC, impôts) de la feuille de paie salariale. Utilisation d’outils numériques (MediStory, DrSanté, etc.) conseillée pour éviter les erreurs de double facturation.
  • Organisation des plannings : Anticiper les périodes de surcharge ; privilégier la délégation (infirmier·ère AS, secrétariat mutualisé) ; articulation avec les astreintes hospitalières pour éviter le burn-out.
  • Gestion des dossiers patients : Respect du secret, centralisation des dossiers ou logiciels inter-opérables quand le patient circule entre les deux modes d’exercice.

Sur le terrain, la mutualisation, la coordination avec les autres professionnels (coordonnateurs en établissement, secrétaires, paramédicaux) sont au cœur de l’équilibre. Il n’est pas rare qu’une journée type alterne consultations ambulatoires, visite en EHPAD, et présence de demi-journée à l’hôpital local.

Perspectives et évolutions de l’exercice hybride

L’organisation modulaire du travail médical, entre ville et hôpital local, s’impose comme une des réponses aux défis d’accès aux soins. De plus en plus valorisé par les institutions, cet exercice mixte fait bouger les lignes entre salariat et libéral, et permet à chaque médecin de construire, dans les territoires, une pratique sur mesure, compatible avec les besoins locaux… et ses propres attentes professionnelles. Face à la pénurie chronique affichée dans certains bassins de vie, ce modèle hybride, pragmatique et centré sur les réalités du soin, semble promis à un développement exponentiel dans les prochaines années.

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