Des fondements différents : le statut salarié face au libéral

Le statut salarié d’un généraliste en structure de soins local, qu’il s’agisse d’un hôpital de proximité, d’un centre de santé, d’une maison de santé pluriprofessionnelle à gestion associative ou municipale, implique une relation d’emploi entre le praticien et la structure. Contrairement au médecin libéral, indépendant fiscalement et soumis au régime des bénéfices non commerciaux (BNC), le médecin salarié perçoit une rémunération fixe (ou variable, mais contractualisée), soumise au régime général de la sécurité sociale.

Cette distinction structure fondamentalement le rapport au travail, à la protection sociale et au système fiscal :

  • Libéral : revenu fluctuant dépendant de l’activité, gestion complète de l’entreprise individuelle, charges sociales à payer à divers organismes (URSSAF, caisse de retraite autonome, etc.)
  • Salarié : rémunération contractuelle (salaire), fiches de paie, cotisations sociales prélevées à la source, ouverture de droits sociaux alignés sur le régime général.

Régime fiscal : une simplicité nette pour le praticien salarié

Le principal avantage fiscal du salariat pour un généraliste local réside dans la simplicité. Le médecin salarié, comme tout autre salarié en France, déclare seulement le revenu figurant sur sa fiche de paie dans la rubrique « salaires et traitements » de la déclaration d’impôts. Le prélèvement à la source s’applique automatiquement depuis 2019 (source : service-public.fr).

  • Aucune gestion de BNC ni nécessité de recourir à un expert-comptable pour établir une liasse fiscale annuelle : gain de temps et d’énergie non négligeable, et économies directes (entre 1 500 € et 3 000 € de frais comptables annuels économisés, selon les estimations de l’Ordre des Experts-Comptables).
  • Pas d’avance de cotisations sociales à l’URSSAF ou à la CARMF (la caisse de retraite libérale). La totalité des cotisations est éclatée à la source sur chaque fiche de paie, évitant les mauvaises surprises en fin d’année.
  • Fiscalement, certaines indemnités et avantages en nature (hébergement, repas…) accordés par l’employeur peuvent être partiellement ou totalement exonérés, lorsqu’ils restent dans les seuils légaux (cf. Bofip-Impôts).

Face à cette simplicité, la pratique libérale impose la gestion et l’anticipation fiscale permanente, dans un environnement réglementaire qui se complexifie. Ce qui, au quotidien, constitue pour beaucoup de jeunes généralistes un argument en faveur du salariat, notamment dans des territoires où la patientèle n’est pas garantie.

Cotisations sociales : meilleure couverture, coût maîtrisé

Les principales protections du régime général

Le médecin salarié en structure locale bénéficie du régime général de la sécurité sociale. Il accède ainsi :

  • à une assurance maladie-maternité couvrant la totalité des soins en cas de maladie, maternité, accident du travail, invalidité ;
  • à une assurance chômage (sous réserve du contrat de travail ; CDD ou CDI), absente du statut libéral ;
  • à une retraite de base alignée sur le régime général, généralement plus lisible que celle de la CARMF (régime libéral), moins sujette à volatilité des droits ou réforme spécifique ; en supplément, la retraite complémentaire de l’AGIRC-ARRCO.
  • à la prévention et indemnisation des accidents du travail (cf. ameli.fr), droit strictement absent lors de l’exercice libéral où la couverture doit être souscrite à titre individuel, souvent pour un coût élevé.

Différences de cotisations : chiffres à l’appui

La charge sociale employeur-salarié tourne autour de 45 à 55 % du salaire brut en santé publique (source : Drees), mais elle donne accès à une couverture sociale robuste. En libéral, pour s’approcher d’une couverture équivalente (maladie, prévoyance, retraite), le taux de charges personnelles + souscriptions privées peut dépasser 40 % du bénéfice, pour des garanties parfois moindres, et avec des risques de décalage de paiement et de trésorerie.

Cas concret : un médecin salarié avec un salaire brut de 5 000 € mensuels (niveau fréquent dans les centres de santé de zones prioritaires) cotise chaque mois environ 2 200 € aux diverses caisses, contre des équivalents difficiles à anticiper en libéral, et sans protection chômage, ni accident du travail.

Avantages sociaux : sécurité, quotidien simplifié et temps libéré

Le salariat offre au généraliste une stabilité contractuelle :

  • Congés payés (5 semaines + éventuellement RTT), calculés automatiquement — alors que les libéraux n’ont ni continuité de droits ni indemnité pour absence, hors contrats spécifiques (remplacement…).
  • Accès plus direct à des congés maternité/paternité alignés sur le régime général (ameli.fr — médecin salarié) : par exemple, l’indemnité journalière maternité approche 90 % du salaire de référence, alors qu’en libéral l’allocation forfaitaire est plafonnée (en 2023, 3 716 € pour 8 semaines d’arrêt, puis 56,35 €/jour au maximum, cf. Urssaf).
  • Prévoyance collective : versement d’indemnités en cas d’arrêt maladie prolongé ou invalidité.
  • Pas d’avance de trésorerie à gérer en cas de baisse d’activité ou de diminution provisoire de la patientèle.

Ces avantages contribuent à la qualité de vie et à l’attractivité pour nombre de jeunes médecins ou ceux soucieux de concilier vie professionnelle et personnelle.

L’exercice salarié : des dispositifs d’exonération et primes spécifiques

Le salariat en établissement de santé local ouvre droit à divers avantages complémentaires :

  • Exonération fiscale en zones sous-dotées : certains centres de santé bénéficient d’exonérations d’impôt sur le revenu pour les médecins qui y exercent, dans le cadre du zonage ARS (Zones de Revitalisation Rurale, Zones d’Intervention Prioritaire). Par exemple, en ZRR, l’exonération est totale pendant 5 ans, puis dégressive sur 3 ans (BoFiP-Impôts).
  • Primes spécifiques liées à la contractualisation : prime d’exercice en zone prioritaire, prime d’installation, encouragement à la mobilité, soit jusqu’à plusieurs milliers d’euros par an (cf. circulaire DGOS du ministère de la Santé).
  • Participation potentielle de l’employeur : prise en charge partielle de la mutuelle santé, des formations ou de la prévoyance complémentaire.

Une enquête de la Drees (2022) montre que ces dispositifs « bonus » représentent entre 3 000 et 12 000 € d’avantages nets supplémentaires sur les trois premières années d’installation en salariat en zone prioritaire.

Organisation du travail et sérénité administrative

L’un des enjeux non-financiers mais très concrets du salariat est la disparition de la « double journée » administrative du libéral. Le médecin salarié n’assume plus :

  • La facturation individuelle des actes (la structure gère le tiers-payant, la gestion des impayés, etc.) ;
  • La gestion des appels d’offres, des contrats/remplacements, ou de la recherche de financement pour du matériel ou du support administratif.
  • La veille réglementaire individuelle : la structure est responsable du respect de la législation, de la sécurisation des protocoles et des outils informatiques.

En zone rurale en particulier, là où l’isolement du praticien est une vraie menace, le praticien salarié trouve souvent un cadre de travail « sécurisé », permettant de concentrer son énergie sur le soin et la prévention, et de limiter les sources d’épuisement professionnel (Baromètre CNG).

Effets sur la carrière et la mobilité : de nouveaux horizons

Le salariat facilite les mobilités géographiques ou fonctionnelles, grâce à la portabilité des droits (assurance chômage, retraite, maladie, etc.), et l’accès à des grilles salariales évolutives négociées collectivement (convention nationale des centres de santé, accords locaux, etc.).

  • Evolution de carrière possible : coordination médicale, formateur, chef de service, référent territorial.
  • Possibilité d’ouvrir son horizon : actions de santé publique, missions d’enseignement ou de recherche facilitées par la structure.
  • Droit à la formation continue valorisé, parfois avec des congés spécifiques indemnisés (congé de formation professionnelle, DPC salarié, etc.).

Par contraste, une trajectoire de carrière purement libérale reste dépendante du volume d’activité, du réseau local et de la capacité à dégager du temps hors patientèle.

À retenir : un choix qui structure la vie professionnelle

L’exercice salarié en établissement de santé local n’éteint pas toutes les contraintes (conditions salariales parfois rigides, dépendance à une équipe dirigeante…). Mais il apporte indéniablement une stabilité sociale, administrative et fiscale recherchée par nombre de généralistes, notamment en début ou en fin de carrière, ou dans les secteurs fragilisés. Dans un contexte où la médecine générale est en pleine recomposition territoriale, ce mode d’exercice ouvre souvent la voie à une plus grande attractivité des territoires et à l’émergence de collectifs médicaux soudés, capables d’innover dans la prise en charge et la coordination.

Pour les médecins — et les décideurs — l’enjeu est bien de reconnaître ces avantages, et de les articuler avec les besoins spécifiques de chaque territoire, entre liberté professionnelle, sécurité et responsabilité collective.

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