Pourquoi parler aujourd’hui des conventions collectives en médecine générale ?

Face à la pénurie persistante de médecins dans de nombreux territoires et à l’essor de structures collectives (centres de santé, maisons médicales, établissements hospitaliers de proximité), le salariat attire un nombre croissant de généralistes. En 2021, environ 14% des médecins généralistes exerçaient sous statut salarié en France(source : DREES, Atlas 2023 des professions de santé). Encore marginale il y a vingt ans, cette modalité s’impose comme un levier majeur d’organisation des soins primaires.

Mais au-delà des questions de statut ou de souplesse organisationnelle, exercer comme médecin généraliste salarié implique un environnement contractuel très spécifique : celui de la convention collective applicable. Centre de santé associatif, municipal, hospitalisation à domicile, hôpital local, EHPAD médicalisé… chacune de ces structures applique des règles collectives qui encadrent à la fois les droits, les devoirs, la rémunération, le temps de travail et bien d’autres aspects quotidiens du métier.

Cet article propose un panorama clair et sans jargon des principaux cadres conventionnels, des enjeux pratiques pour les médecins, et des points de vigilance à connaître avant (ou pendant) l’exercice.

Quelle convention collective pour quel employeur ?

Contrairement au médecin libéral, le généraliste salarié est intégré dans une structure qui applique une convention collective, texte négocié entre employeurs et représentants des salariés. Cette convention n’est pas unique, et varie selon le type de structure :

  • Centres de santé associatifs / mutualistes : Convention Collective Nationale (CCN) des établissements privés d’hospitalisation, de soins, de cure, de garde à but non lucratif (dite CCN 51) ou CCN des centres de santé (dite Accord National des centres de santé FEHAP 79).
  • Etablissements publics, hôpitaux locaux : Statut de la Fonction Publique Hospitalière (décret 84-131), régime particulier, non une « convention collective » à proprement parler.
  • Etablissements privés commerciaux : CCN de l’hospitalisation privée (dite CCN 51, mise à jour, ou CCN de la Fédération de l’Hospitalisation Privée – FHP).
  • Maisons de santé employeurs (rares) : modèles divers, souvent inspirés des CCN centre de santé ou directement conventions ad hoc.

La plupart des centres de santé publics/municipaux relèvent de la fonction publique territoriale. On retrouve donc une grande disparité des cadres conventionnels selon l’employeur. Ce point est fondamental, car il modifie considérablement les droits et obligations du médecin salarié.

Rémunération : entre grille et négociation

L’un des aspects qui interpelle le plus tout médecin généraliste envisageant un poste salarié concerne la rémunération. Contrairement au libéral (soumis à la tarification à l’acte), ici la rémunération est forfaitaire et encadrée.

  • Centres de santé (CCN, Accord national centres de santé FEHAP 79) : Grille basée sur le niveau d’ancienneté, les responsabilités (médecin coordinateur, référent, etc.), parfois le volume d’activité avec modulation possible. Exemple : en 2024, le salaire brut mensuel d’un médecin généraliste salarié débute autour de 4 000 à 4 500 € brut mensuel à temps plein, et peut atteindre 7 000 - 7 500 € pour un coordinateur confirmé (source : SMG/USMCS, 2024). L’accord national prévoit aussi un 13 mois, des primes de précarité le cas échéant, des majorations d’astreinte, etc.
  • Fonction Publique Hospitalière : Application des grilles de Praticien Hospitalier Contractuel, parfois de Praticien Attaché ou Assistant selon la situation. Le début de carrière en temps plein s’établit autour de 4 200 € brut/mois, avec une progression selon l’ancienneté et les gardes effectuées (site Service-Public.fr).
  • Hôpitaux privés : Grilles similaires au public, mais les modalités de négociation sont plus souples. Les indemnités de sujétions particulières, d’astreinte, de responsabilités, sont variables.

Point de vigilance : Certaines CCN imposent une annualisation du temps de travail. Le « temps plein » peut être fixé à 35h (convention FEHAP), 37h ou 39h selon la structure, avec des semaines inégales (samedis, nuits, week-end). Le paiement des heures supplémentaires, des gardes, astreintes ou remplacements s’inscrit dans des cadres différents selon la convention.

Organisation du travail : temps, astreintes, congés

Le quotidien du médecin généraliste salarié est précisé de manière très détaillée dans la convention collective applicable. Points clés :

  • Temps de travail : Généralement annualisé. La CCN FEHAP par exemple prévoit un forfait de 1 607 heures annuelles pour un temps plein, avec journées de 7 à 8h selon la répartition.
  • Gardes et astreintes : Leur nombre, leur répartition et leur rémunération figurent dans des annexes spécifiques. La fonction publique hospitalière précise par exemple le « temps de travail additionnel » (TTA), qui permet le paiement de périodes travaillées au-delà du service normal. En centre de santé, ces périodes sont généralement comptabilisées séparément et ouvrent droit à compensation financière ou récupération (source : Accord national UNCAM/centres de santé, 2016).
  • Congés : Les conventions collectives prévoient des congés très supérieurs à la réglementation minimale : la majorité des CCN attribuent entre 25 et 30 jours ouvrés de congés payés annuels (hors jours de récupération / RTT). À cela s’ajoutent les congés pour événements familiaux, maternité/paternité, maladie (avec maintien du salaire sous conditions), et parfois les congés de formation.

Dans les faits, l’annualisation du temps s’accompagne d’une grande adaptabilité de l’organisation, mais nécessite une vigilance constante : le suivi des plannings, des repos compensateurs, et des récupérations peut être source de tensions selon les établissements.

Protection sociale et évolution de carrière

À la différence de l’exercice libéral, être médecin salarié offre une protection sociale renforcée, héritée du droit du travail :

  • Assurance maladie, maternité, accident du travail : couverture immédiate et facilité d’accès aux arrêts maladie, indemnités journalières intégralement maintenues dans la plupart des CCN (après délai de carence variable).
  • Retraite complémentaire : affiliation aux régimes ARRCO/AGIRC (secteur privé) ou à la CNRACL (fonction publique).
  • Prévoyance, complémentaire santé, prestations familiales, mutuelle d’entreprise : souvent proposées ou imposées collectivement.
  • Chômage : droit à l’assurance chômage en cas de licenciement économique, ce qui reste exclu du secteur libéral.

En termes d’évolutivité, la progression se fait selon les échelons fixés par la convention, avec la possibilité de responsabilités transversales (coordination, gestion de projets, encadrement d’équipe, tutorat d’internes…).

Climat social, autonomie, évaluation : du texte à la réalité

Si la convention collective offre un cadre protecteur, elle ne dissout pas toutes les difficultés du quotidien. Les remontées terrain recensées par des syndicats comme le Syndicat des Médecins des Centres de Santé (SMG/USMCS) montrent que l’équilibre entre autonomie professionnelle, exigences collectives et management institutionnel peut être complexe. Plusieurs problématiques s’observent notamment :

  • Pression sur l’activité : Réunions d’équipe, protocoles de consultation, reporting d’activité… Les conventions prévoient des marges de manœuvre, mais certains employeurs poussent à la rentabilité.
  • Évaluation des pratiques : Les CCN imposent l’entretien annuel d’évaluation ; certains centres instaurent aussi des procédures d’audit, parfois mal vécues par les professionnels.
  • Mobilité interne et externalisée : Des conventions permettent une mobilité géographique ou de fonctions, mais les attentes institutionnelles modulent fortement l’autonomie de choix du médecin.
  • Droit de retrait, défense syndicale : Les conventions, en lien avec le Code du travail, encadrent strictement le droit de grève ou d’action collective (ce qui est rare mais possible).

A contrario, les retours des jeunes médecins montrent un intérêt grandissant pour la mutualisation des tâches non cliniques : aide à la facturation, secrétariat mutualisé, protocoles partagés. Cette organisation collective, encadrée par la convention, répond aussi à une aspiration croissante à la « médecine partagée ».

Points de vigilance à l’embauche

  • L’intitulé précis du contrat : CDI, CDD, temps partiel annualisé, permanence obligatoire… vérifier la référence exacte à la convention collective appliquée, qui doit être mentionnée sur le contrat de travail.
  • Période d’essai : Sa durée, ses modalités de renouvellement sont elles aussi fixées par la convention. Elle varie fortement (de 1 à 6 mois selon le type d’établissement).
  • Obligations de formation continue : Certaines CCN rendent la participation à certains temps de formation obligatoire : validation DPC, congrès ou séminaires institutionnels.
  • Clauses particulières : Portabilité de la mutuelle, clause de mobilité géographique, astreintes sur sites distants (EHPAD, domiciles)… Elles découlent souvent de dispositions annexées à la convention principale.
  • Cotisation syndicale : Dans les grandes structures, la convention peut prévoir la possibilité de temps syndical libéré, à utiliser pour représenter ses collègues lors de négociations locales.

Prendre connaissance du texte intégral de la convention collective (et de ses annexes), éventuellement accompagné d’un avis syndical ou d’un organisme spécialisé (ex : l’USMCS, le SMG, l’Ordre des Médecins), est donc un préalable pour tout projet d’embauche.

Bilan : ces conventions qui font le quotidien du médecin salarié

Dans un contexte de recomposition rapide de l’offre de soins, la multiplication des structures employeuses (centres de santé, CLCC, établissements hospitaliers locaux, HAD, EHPAD) impose de connaître précisément l’encadrement proposé par chaque convention collective. Les grilles de rémunération, la gestion du temps et des repos, la protection sociale, mais aussi les marges d’autonomie professionnelle, sont autant de critères concrets qui pèsent chaque jour sur la qualité de vie au travail des médecins généralistes salariés.

La connaissance et l’appropriation du cadre conventionnel constituent dès lors un levier essentiel pour consolider un exercice attractif, stable, respectueux des équilibres entre engagement professionnel, qualité des soins… et vie hors des cabinets ; un atout non négligeable tant pour les médecins eux-mêmes que pour les territoires soucieux de fidéliser leurs praticiens. Les prochaines années pourraient voir les conventions collectives continuer d’évoluer, sous la pression conjuguée des politiques de santé nationale et de la réalité du terrain.

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