Un exercice pluriel, enraciné dans les territoires

L’exercice mixte fait référence à la pratique de la médecine générale sous plusieurs formes et dans différents environnements, souvent simultanément : activité en cabinet libéral, en maisons ou centres de santé, vacations à l’hôpital, implication en EHPAD, ou participation à des dispositifs de soins non programmés. Cette souplesse répond à la mosaïque des besoins, accélère l’adaptation dans les territoires sous-dotés, et garantit la continuité et la coordination des soins. Elle fait aussi écho à l’aspiration croissante des jeunes praticiens à diversifier leurs activités, pour enrichir leurs compétences et préserver leur attractivité professionnelle.

Pourtant, derrière cette souplesse revendiquée, le cadre réglementaire demeure complexe, tiraillé entre héritage historique, exigences nouvelles, et inévitables injonctions contradictoires.

Schéma général : quelle définition officielle de l’exercice mixte ?

Il n’existe pas, dans les textes, de définition unique et stabilisée de l’"exercice mixte". L’Assurance maladie et le CNOM (Conseil National de l’Ordre des Médecins) évoquent cette notion pour désigner tout praticien employant plusieurs modes d’exercice – notamment le cumul activité libérale et salariée. On recense aujourd’hui plus de 16 000 médecins généralistes en activité mixte (libéral et salarié), soit près de 15 % de la profession selon l’Atlas de la démographie médicale 2023 (CNOM, 2023).

L’exercice mixte peut prendre plusieurs formes :

  • Libéral + Hôpital (par exemple, consultations externes et astreintes au sein d’un hôpital local)
  • Libéral + Centre ou Maison de Santé Pluriprofessionnelle (avec une double activité mais sous statut distinct)
  • Libéral + Engagement institutionnel (Conseil départemental, centres de vaccination, EHPAD en tant que médecin coordinateur)
  • Salarié + Salarié (mi-temps dans deux structures, par exemple SSR et HAD – plus rare en médecine générale)

Textes et sources du droit : bases réglementaires principales

Le paysage réglementaire de l’exercice mixte s’organise autour de trois piliers :

  • Le Code de la santé publique (notamment articles L4111-1 et suivants, conditions d’exercice, obligations déontologiques, cumul d’activité...)
  • La Convention médicale (Accords entre Assurance maladie et syndicats médicaux, fixant encadrement de l’activité libérale et participation à certains dispositifs territoriaux)
  • La Loi de modernisation de notre système de santé (26/01/2016) et la Loi « Ma santé 2022 » (2019), qui promeuvent la diversification des modes d’exercice et l’élargissement des équipes territoriales

C’est principalement au Conseil de l’Ordre des médecins d’opérer, au cas par cas, le contrôle du respect des incompatibilités, du secret professionnel et du non-conflit d’intérêt. Mais, dans les faits, les textes restent parcellaires et parfois imprécis, exposant les praticiens à une "zone grise".

Statuts possibles : ce que permet (et limite) le cadre réglementaire

Pour exercer en mixte, le médecin généraliste doit généralement :

  • Déclarer chaque mode d’exercice à l’Ordre et à la CPAM concernée, pour chaque activité distincte
  • Respecter le principe de neutralité en matière de prescription (ne pas orienter indûment les patients vers sa propre structure)
  • S’assurer de la compatibilité contractuelle ou statutaire (vérification du contrat de travail, du règlement intérieur ou de la convention de la structure)

Les statuts « mixtes » réglementés principaux sont :

  • Médecin libéral « à temps partiel » : cumulable avec une activité salariée (hospitalière ou non).
  • Praticien à temps partiel à l’hôpital (contractuel, praticien attaché, voire praticien territorial de médecine générale) : possibilité de maintenir son cabinet en libéral, sous réserve d’accord de la direction.
  • Praticien territorial de médecine générale (PTMG)[Ministère de la Santé]: contrat de 2 ans renouvelable, comprenant un temps « libéral » minimum de 50% et un temps d’activité complémentaire (EHPAD, CMP, SPI, HAD…)
  • Exercice salarié en centre ou maison de santé (contrat de travail de droit privé, mais compatible souvent avec vacations hospitalières, par exemple en HAD ou urgence rurale)

Zoom : Les PTMG, levier pour l’exercice mixte rural et semi-rural

Le statut de PTMG, créé en 2013, vise à renforcer la présence médicale dans les zones fragilisées. 550 postes ouverts entre 2013 et 2022, dont plus de 80 % en exercice mixte libéral/hospitalier ou libéral/EHPAD. L’indemnisation est conditionnée à un plan d’activité négocié, qui reste parfois contraignant pour les jeunes praticiens.

Cumul d’activités : règles, exceptions, risques

Le cumul libéral/salarié est Licite, mais plusieurs restrictions s’appliquent :

  • Interdiction de s’auto-orienter entre activités (favoriser indûment son activité libérale à partir d’une structure salariale, ou inversement, est constitutif d’un manquement déontologique – voir articles R.4127-25 et R.4127-95 du Code de santé publique)
  • Horaires incompatibles : impossibilité pratique de réaliser deux « temps pleins » au sens opposé, mais la loi n’impose pas explicitement de plafond horaire (sauf particularités locales)
  • Vigilance sur la compatibilité des temps de présence obligatoire (astreintes, continuité des soins)
  • Pour les fonctionnaires hospitaliers (statut PH, praticien contractuel, assistant) : la loi impose une autorisation écrite de la direction administrative.

Le cumul retraite-activité, quant à lui, est rendu plus aisément possible depuis la Loi de financement de la sécurité sociale 2022 (LFSS 2023) : il permet désormais d’additionner librement pensions et revenus, dans la limite d’un plafond annuel de revenus pour certaines situations (source : CNAM, 2023).

Enfin, le cumul d’une activité médicale avec des fonctions électives (mairie, conseil régional...) est également encadré, en raison des conflits d’intérêts potentiels.

Dispositifs de soutien et freins persistants

Dispositif Description Contraintes réglementaires principales
Contrats PTMG, PTMA Incitations financières pour mixte libéral/hospitalierCharte d’engagement territoriale Plancher d’activité libéraleZones sous-denses
CAIM / CAES Compléments d’activité libérale (indemnités pour médecins en zones déficitaires) Non cumulables avec certains revenus salariaux
Exercice coordonné (MSP – équipes de soins primaires) Droit passerelle entre libéral/salariéMutualisation des outils numériques Répartition du temps et respect du projet de santé
Vacations hospitalières / ELSA Possibilité de réaliser quelques demi-journées en hôpital local ou HAD Autorisation de l’établissementRisques de surcharge

Parmi les freins principaux relevés par les praticiens des territoires :

  • Instabilité des dispositifs dérogatoires, souvent liés à une temporalité politique ou budgétaire
  • Lourdeurs administratives : déclaration à chaque organisme, multiplicité des payeurs, difficultés de gestion de la facturation
  • Peu de reconnaissance formelle ou financière des temps non cliniques (coordination, réunions territoriales, actions de santé publique)
  • Risques psychosociaux accrus chez les praticiens multiplateformes, qui sont surreprésentés dans le "burn-out" médical selon l’Observatoire national du suicide 2022.

Exercice mixte et organisation des soins : tensions et innovations

Le développement de l’exercice mixte en médecine générale est souvent invoqué comme levier de lutte contre les "déserts médicaux". Suivant les territoires, 20 à 45 % des jeunes installés auraient un exercice mixte dans les 3 premières années (source : rapport IGAS 2020). Les GUICHEETS "EXERCICE MIXTE" portés par les ARS (notamment ARS Nouvelle-Aquitaine et Bretagne) démontrent aussi le besoin d’accompagnement tant sur le plan administratif que réglementaire.

Des structures hybrides émergent, telles que certaines Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui favorisent le "tuilage" d’activité : par exemple, intervention d’un même médecin sur des créneaux libéraux et salariés, au service d’un parcours coordonné (soins non programmés, sorties d’hospitalisation, EHPAD hors mur…).

Mais, la réglementation reste en retard sur la réalité du terrain : l’intégration d’actes réalisés sur des temps différents, la question de la portabilité de la retraite ou de la formation, et la persistance d’écarts de rémunération nuisent à la lisibilité globale du parcours pour le praticien comme pour le patient.

Entre opportunités, clarifications attendues et réalités du terrain

L’exercice mixte est désormais un marqueur ordinaire du quotidien des médecins généralistes de proximité – gage de souplesse pour les territoires et facteur d’attractivité pour la médecine générale. Les chiffres traduisent cette montée en puissance, même si seuls 8 % des postes hospitaliers de médecins généralistes correspondent officiellement à des temps partagés, alors que la demande est le double selon la Fédération hospitalière de France (FHF, 2023).

Les enjeux à venir sont clairs : clarification des droits sociaux et retraites, assouplissement des passerelles administratives, inscription transparente des dispositifs d’exercice mixte dans les conventions médicales, et reconnaissance de la coordination en dehors des actes strictement cliniques. L’évolution réglementaire de l’exercice mixte est autant une urgence organisationnelle que la clé d’un accès aux soins plus juste et pérenne dans nos territoires.

Pour aller plus loin, la Direction générale de l’Offre de soins (DGOS), l’Ordre des médecins, mais aussi la HAS et la CNAM proposent des guides dédiés sur l’exercice mixte, actualisés dès 2023, témoignant d’un lent déverrouillage réglementaire… dont il faudra accompagner de près les effets, tant pour les soignants que pour les patients.

En savoir plus à ce sujet :