Introduction : vers une frontière de plus en plus poreuse entre ville et hôpital local

Les besoins de santé évoluent. L’exercice isolé du médecin – qu’il soit en libéral ou exclusif à l’hôpital local – trouve progressivement ses limites dans un contexte de vieillissement de la population, de complexification des parcours et de raréfaction des professionnels dans certains territoires.

Face à ces réalités, l’exercice mixte s’impose comme une réponse adaptée au terrain : il permet à un même praticien de partager son temps entre un cabinet de ville, une maison de santé et un exercice clinique en hôpital local, souvent pivot de la prise en charge des patients âgés ou fragiles. Mais ce mode d'exercice hybride, longtemps resté marginal, suscite de nombreuses questions réglementaires – sur la rémunération, l'assurance, les droits, la déontologie et l’organisation collective.

Comment structurer légalement l’exercice mixte ? Quels sont les dispositifs effectivement en place ? Quelles précautions pour le médecin ? Cet article fait le point à partir des textes en vigueur, des retours de collègues, et de la jurisprudence récente.

Définir l’exercice mixte : quelles réalités derrière le terme ?

Sous l’appellation « exercice mixte », on regroupe principalement :

  • L’exercice d’un médecin partagé entre une activité libérale (cabinet individuel, maison ou centre de santé) et une activité salariée, le plus souvent à temps partiel, dans un hôpital local ou un établissement public de santé.
  • Le cumul possible entre plusieurs employeurs publics et/ou privés, et la participation au service de garde ou aux astreintes hospitalières, même pour les médecins à majorité de temps en ville.
  • Des statuts variés : salarié, libéral, praticien attaché ou praticien contractuel, voire titulaire d’un contrat spécifique (Praticien Territorial de Médecine Générale, Mission de Médecin Régulateur, etc.).

Le Code de la santé publique ne donne pas de définition unique de l’exercice mixte, mais les textes encadrent précisément les conditions de cumul et d’intervention au sein de structures publiques (source : Ministère de la Santé, Drees, 2023).

L’exercice mixte en chiffres : une réalité en forte progression

  • Plus de 13% des médecins généralistes en activité déclarent exercer de manière mixte, selon l’Atlas de la démographie médicale 2023 (CNOM).
  • Près de 400 hôpitaux locaux collaborent aujourd’hui avec au moins une dizaine de médecins généralistes libéraux intervenant partiellement, selon le Réseau des Hôpitaux de Proximité.
  • Dans certains départements, la moitié des petites villes ne disposent d’un service médical au sein de l’hôpital local que grâce à l’intervention de praticiens à exercice mixte (Observatoire régional Occitanie, 2022).

Le cadre réglementaire : textes de référence et principes à connaître

Les dispositifs réglementaires organisant l’exercice mixte s’appuient sur plusieurs textes-clés, affinés à l'occasion des réformes successives des lois de santé et de la gestion des ressources humaines hospitalières.

1. L’article L6152-1 du Code de la santé publique et ses suites

  • Ce texte pose le principe général : un praticien peut exercer simultanément une activité libérale et une activité hospitalière à condition que chaque exercice soit clairement défini (temps de travail, obligations, rémunération, responsabilités).
  • Il interdit cependant d’exercer l’activité libérale au sein des établissements publics de santé, à l’exception des praticiens hospitaliers autorisés à exercer une activité libérale intra-hospitalière (sujet qui concerne essentiellement les spécialistes).

2. Le décret du 10 mai 2017 relatif à l’exercice partiel des professionnels libéraux en hôpital local

  • Ce décret encadre les vacations des médecins généralistes sous statut libéral au sein d’un hôpital local conventionné : elles doivent porter sur des plages horaires définies en concertation et donner lieu à une convention tripartite (médecin, hôpital, ARS).
  • Des plafonds annuels de vacations (ex : 20% du temps annuel maximum dans l’établissement public) sont souvent imposés selon les régions pour garantir la primauté de l’activité libérale.

3. Les contrats de Praticien Territorial de Médecine Générale (PTMG)

  • Créé en 2013, il permet de sécuriser financièrement un jeune médecin qui s’engage à médicaliser un territoire fragilisé, tout en partageant son temps entre la ville et l’hôpital local, selon une quotité modulable.
  • Le PTMG bénéficie d’un complément de rémunération destiné à garantir un revenu minimal, sous réserve d’assurer une présence effective dans le secteur retenu.
  • En 2022, plus de 600 médecins bénéficiaient de ce dispositif (Drees).

4. L’article R6152-219 et les Praticiens contractuels à temps partiel

  • Porte sur les contrats de praticien contractuel : permet à un médecin libéral ou salarié de conclure un contrat à temps partiel (10% à 50% du temps plein) avec un hôpital local, pour assurer des consultations, la permanence ou la continuité des soins.
  • La rémunération est fonction du grade, de l’ancienneté et des fonctions exercées à l’hôpital local. Cette modalité est très répandue en gériatrie et soins palliatifs.

5. Les gardes et astreintes partagées

Les dispositifs de mutualisation des gardes entre ville et hôpital (notamment la permanence des soins ambulatoires, PDSA) facilitent la participation des médecins libéraux et des praticiens mixtes. Les conditions (prise en charge, astreintes, indemnités) sont fixées par convention au niveau départemental et validées par l’ARS.

  • La circulaire du 18 avril 2013 relative à la permanence des soins en établissement médicalise ce fonctionnement.
  • Environ 37% des gardes effectuées en hôpital local sont aujourd’hui assurées par des médecins à exercice mixte (Assurance Maladie, chiffres 2022).

Modalités pratiques et obligations du médecin à exercice mixte

Double affiliation et assurances professionnelles

  • Le médecin doit veiller à s’affilier correctement auprès de la CPAM et de la CARMF pour chaque type d’exercice (salarié/libéral).
  • Assurances RCP : la couverture doit porter explicitement sur les actes effectués à l’hôpital local, y compris en dehors du secteur traditionnel du praticien.

Déontologie et incompatibilités

  • Le cumul d’activités ne doit pas générer de conflits d’intérêts ni d’incompatibilités de fonction : impossibilité, par exemple, d’exercer dans une instance décisionnaire de l’hôpital local tout en facturant en libéral dans ce même établissement.
  • Le Conseil de l’Ordre (départemental puis régional en cas de litige) veille au respect de ces principes (source : CNOM, recueil 2023).

Gestion du temps et organisation

  • Le médecin doit établir en début d’année un planning de présence soigneusement articulé (heures, jours, plages de consultations et astreintes) validé conjointement avec l’hôpital local et, le cas échéant, la maison de santé ou le centre de santé.
  • Des outils de coordination sont mis en place dans 61% des hôpitaux locaux partenaires (tableaux partagés, agendas synchronisés, etc. ; source : FHF 2022).

Rémunération : règles, montants et limites

Rémunération à l’hôpital local

  • Dépend du contrat choisi : praticien contractuel (base grille praticien hospitalier), vacations (tarifs fixés par arrêté régional ou convention locale), ou interventions exceptionnelles facturées en honoraires sur facturation individuelle.
  • Un praticien à temps partiel perçoit de 1200 à 2400 € brut mensuels pour deux demi-journées par semaine en service de médecine polyvalente selon les hôpitaux locaux (source : Retours d’établissements de Nouvelle-Aquitaine, 2023).

Rémunération en libéral

  • Pas de restriction par rapport au secteur, sauf si le médecin souscrit à des contrats incitatifs attachés à l’exercice mixte (revenu minimal garanti, PTMG).
  • Les actes réalisés à l’hôpital local sous statut libéral sont soumis aux tarifs conventionnés ou, pour certaines interventions spécifiques, à un ticket modérateur majoré (ex : actes de petites urgences). À titre d’exemple, une vacation de 4h équivaut en moyenne à 280-350 € brut selon les régions.

Cumul et plafonds

  • Le cumul des deux rémunérations est possible tant que l’activité à l’hôpital local n’excède pas les limites autorisées (généralement 0,5 ETP), afin d’éviter une assimilation à une activité pratiquée à temps complet sous statut public.
  • En cas de dépassement, le médecin risque de perdre le bénéfice du statut libéral pour la part excédentaire, avec impact sur cotisations et retraite.

Dispositifs d’incitation et perspectives récentes

Diverses mesures incitatives renforcent la dynamique de l’exercice mixte, en adaptant les organisations aux tensions démographiques ou en soutenant les zones sous-dotées.

  • Contrat d’engagement de service public : il prévoit une allocation mensuelle pour les étudiants s’engageant à exercer, à l’issue de leurs études, dans des territoires fragiles, y compris en mixte (4226 contrats signés depuis 2010, Drees 2023).
  • Expérimentations « Article 51 » de la LFSS : certaines régions testent depuis 2021 des formes alternatives d’organisation (groupes médicaux communs, pooling de vacations hôpital-ville, nouveaux protocoles de rémunération), notamment dans les Hauts-de-France et en Bretagne (Ministère de la Santé, Bilan 2022).

Quels freins et leviers pour l’avenir ?

  • Les principaux freins restent la lourdeur administrative et le manque de clarté des conventions tripartites ainsi que l’insuffisance de reconnaissance du rôle des médecins généralistes dans la chaîne de soins hospitalière.
  • Mais des évolutions notables, comme la sécurisation juridique du cumul et la syndication des gestions d’agenda, facilitent chaque année un peu plus l’exercice mixte.
  • Par ailleurs, la future réforme des Autorisations de droit d’exercice dans les territoires sous-dotés, prévue pour 2025, pourrait encore fluidifier la voie pour ceux qui souhaitent naviguer au carrefour entre la ville et l’hôpital local.

Ouverture : exercer là où la médecine générale a le plus de sens

L’exercice mixte n’est plus une exception, c’est souvent la clé d’un maintien ou d’une revitalisation d’une offre médicale continue sur le terrain. La condition, pour qu’il continue à se développer, reste un encadrement réglementaire clair, partagé, et une articulation réelle entre initiatives locales et cadre institutionnel, gage d’une médecine générale accessible, humaine, et fiable.

En misant sur la complémentarité des rôles et sur une adaptation dynamique des outils contractuels, la France s’engage vers une évolution majeure de l’organisation des soins primaires – une évolution à suivre de près pour toute une génération de professionnels !

Sources principales :  Ministère de la Santé et de la Prévention (2023), CNOM Atlas démographie médicale (2023), Fédération Hospitalière de France (2022), Drees, Assurance Maladie, Réseau Hôpitaux de Proximité, Observatoire régional Occitanie.

En savoir plus à ce sujet :