Un contexte sous tension, des réponses à structurer

La problématique de l’accès aux soins dans les zones dites “sous-dotées” – rurales, périurbaines, quartiers prioritaires – s’est imposée comme un enjeu majeur pour les professionnels de santé, les pouvoirs publics et les populations concernées. Près de 6 millions de Français vivent dans ce que la DREES définit comme des “déserts médicaux”, soit une progression de 12% entre 2015 et 2023 (DREES). Les délais pour obtenir un rendez-vous avec un médecin généraliste y dépassent souvent trois semaines (jusqu’à 64 jours pour certaines spécialités), et l’accès au spécialiste ou à l’hôpital de proximité relève parfois du parcours du combattant.

Dans ce contexte, les dispositifs expérimentés ou pérennisés pour renforcer l'accès aux soins se multiplient. Sont-ils efficaces ? Comment s’articulent-ils ? Faut-il privilégier les solutions structurelles ou les “mesures d’urgence” ? Tour d’horizon des leviers concrets mis en œuvre sur le terrain.

Les mesures structurelles : installer, stabiliser, fidéliser

1. Majoration et aides à l'installation

Face à l’effondrement démographique de la profession dans certains territoires, la première réponse a souvent été financière : majoration du forfait patientèle médecin traitant (+20% dans les ZIP/ZIP+) ou aides de l’Assurance maladie (jusqu’à 50 000 € pour une installation en zone sous-dotée dans le cadre des “Contrats de début d’exercice” - Source : CNAM).

  • Entre 2013 et 2022, 4 300 médecins ont bénéficié de ces aides, mais moins de 40% sont restés au-delà de 5 ans (HCFEA).
  • Les Zones d’intervention prioritaire (ZIP) concernent aujourd’hui près d’un quart du territoire français.

Mais le constat demeure : l’attractivité financière, si elle représente un signal, ne suffit pas. Elle doit s’accompagner de solutions sur le cadre d’exercice, la conciliation vie professionnelle/vie personnelle, l’accès à un exercice collectif et coordonné.

2. Les Maisons et Centres de santé pluriprofessionnels (MSP/CSP)

L’exercice coordonné est souvent cité comme le socle le plus durable pour renforcer l’attractivité médicale des zones en tension. Selon la HAS, il existe 2 150 MSP en France début 2024, contre seulement 200 en 2010. Les données sont claires :

  • 65% des jeunes médecins généralistes souhaitent s’installer dans une structure d’exercice coordonné (Cnesco).
  • Une MSP sur deux se trouve dans une zone sous-dotée (DREES).
  • La file active moyenne par MSP progresse de +10% par an depuis 2019.

Pour autant, l’effet d’appel aux nouveaux praticiens reste contraint par la difficulté à fidéliser, le poids des charges de fonctionnement, la raréfaction des profils infirmiers et paramédicaux dans ces mêmes territoires.

3. Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS)

Depuis leur émergence en 2016, les CPTS se sont multipliées pour structurer la coordination “hors-les-murs” entre les acteurs de santé d’un même territoire (médecins, paramédicaux, pharmaciens, acteurs médico-sociaux, hôpitaux). En 2024, plus de 800 CPTS couvrent près de 70% de la population française (Assurance Maladie).

  • Parmi leurs missions prioritaires : améliorer l’accès au médecin traitant, à la prise en charge non programmée, organiser les parcours patients complexes.
  • Dans 40% des territoires sous-dotés, elles deviennent la seule structure “maillée” pour organiser la permanence des soins (Source : Fédération des CPTS).

Leur impact sur l’accès reste inégal : les difficultés administratives, la lourdeur des démarches et le manque d’ingénierie territoriale freinent leur pleine efficacité.

Recours à la délégation et partage de tâches

1. Les assistants médicaux : multiplier les effets levier

Depuis 2019, le déploiement du dispositif assistant médical (qui permet aux médecins de recruter un assistant pour la gestion administrative, l’accueil, la préparation du patient) offre une promesse : libérer du temps médical “pur” pour voir plus de patients.

  • Fin 2023 : plus de 6 000 contrats signés, dont 30% dans des zones classées “sous-dotées” (CNAM).
  • En moyenne, un médecin disposant d’un assistant médical augmente sa patientèle de 15 à 20% dans l’année suivant la mise en place du contrat (Le Quotidien du Médecin).

Le modèle montre ses limites dans les plus petites structures isolées, où la masse d’activité peine à justifier l’embauche d’un poste dédié.

2. Déléguer à l’exercice infirmier et aux autres paramédicaux

L’essor des protocoles de coopération et de pratique avancée infirmière (IPA) marque une évolution majeure post-2018.

  • Plus de 3 800 IPA diplômées en juin 2023, dont près de 40 % exercent dans des zones en tension (Ordre National des Infirmiers).
  • Protocole ASALEE : 760 infirmières déployées sur 880 cabinets, y compris dans l’Allier, la Nièvre, l’Ariège...

En gérant le suivi des pathologies chroniques, l’éducation thérapeutique, le repérage des fragilités, ces professionnelles libèrent du temps médical et renforcent la prise en charge préventive, moins visible mais essentielle pour éviter les ruptures de suivi. L’efficacité dépend d’une intégration forte au sein de l’équipe médicale locale.

L’appui du numérique et les nouvelles organisations

1. La télémédecine : un levier, pas une panacée

La téléconsultation a explosé lors du Covid : plus de 20M d’actes remboursés en 2020 (contre 140 000 en 2019, Source : Assurance Maladie). Pourtant, après la crise sanitaire, la grande majorité des téléconsultations restent aujourd'hui concentrées sur des territoires urbains ou périurbains connectés.

  • Seulement 8% des téléconsultations concernent des patients en zone rurale sous-dotée (DREES 2023).
  • Les téléconsultations “assistées” (en présence d’un infirmier, dans une “cabine” ou une pharmacie) connaissent une croissance de 22% par an.
Dispositif Nombre de structures Usagers/an
Bornes de télémédecine en pharmacie 1 900 plus de 350 000
Espace France Services (accès téléconsultations accompagnées) 2 000 environ 50 000

L’accès aux outils connectés, l’initiation numérique des patients âgés et la question du secret médical restent des limites quand il s’agit de soigner dans la continuité.

2. La mobilité médicale repensée

Loin d’être une nouveauté, la visite à domicile – ou la tournée de “médecin volant” – retrouve un second souffle via les “bus santé” (Ile-de-France, Centre-Val de Loire), les antennes mobiles, ou encore les médecins salariés de structures mutualistes. Il s’agit là d’une réponse frugale pour traiter des “trous de permanence” sur un territoire.

  • En Indre-et-Loire, les tournées de médecins itinérants permettent de couvrir 18 nouvelles communes en 2023 (Nouvel Obs).
  • La région Occitanie expérimente aussi des cabinets mobiles modulaires depuis 2022.

Si la réponse est ponctuelle, elle répond à un besoin immédiat, notamment pour les populations âgées ou sans véhicule.

L’hôpital local et la prise en charge de proximité renforcée

Les hôpitaux locaux (HL), structures de proximité par excellence dans les zones rurales, s’affirment comme un maillon essentiel de l’accès : 234 HL recensés début 2024, réalisant plus de 5 millions de consultations ou passages annuels, souvent en médecine de “court séjour non programmé” (FNEHH).

  • Dans la Vienne ou la Haute-Marne, 80% des passages dans les HL concernent des patients sans médecin traitant ou en rupture de suivi en ville.
  • Ces établissements sont le point d’accès unique pour la prise en charge de soins non programmés (petite traumatologie, urgences de nuit, actes de biologie de proximité...)

Leur renforcement (coopération avec les CPTS, développement des plateaux techniques, “médecin traitant de territoire” en lien avec la médecine de ville) figure dans le pacte “Urgences 2024”. Toutefois, ils subissent les mêmes difficultés de recrutement médical et paramédical.

Les nouveaux viviers de professionnels : stages et attractivité étudiante

A moyen terme, le déploiement d’Internats et de stages de médecine générale (ou de soins primaires) en zones sous-dotées est identifié comme un levier majeur :

  • 80% des internes ayant effectué au moins 6 mois de stages ruraux envisagent une installation dans un territoire “difficile” (CNGE 2023).
  • Plus de 1 200 maîtres de stage universitaires en zone rurale, mais un besoin croissant dans le Nord et le Grand Est.
  • Les bourses et aides à la mobilité étudiante voient leur montant doubler depuis 2021.

Pourtant, la capacité d’accueil en formation reste dépendante de la démographie des praticiens aguerris et de la reconnaissance universitaire des terrains “hors CHU”.

Perspectives : Vers des dispositifs à la carte, ancrés dans la réalité des territoires

Chiffrer l’impact de chaque dispositif est un défi : aucun ne règle, à lui seul, le problème de l’accès, mais leur combinaison permet d’éviter le basculement de régions entières en “zones blanches”. On observe que les solutions qui fonctionnent sont celles qui s’appuient sur une alliance de moyens : financement, organisation collective, recours à la délégation, soutien logistique, appui du numérique adapté et projection sur la formation des futurs soignants.

  • Chaque territoire, de la Haute-Loire à la Seine-Saint-Denis, devra ajuster le curseur entre soutien financier, mutualisation, innovations numériques et ancrage universitaire.

Au final, derrière le terme “désert médical” se joue aussi une question de cohésion sociale, de reconnaissance locale et de moyens humains. Pour renforcer durablement l’accès aux soins, il faudra donc conjuguer diversité des dispositifs, patience… et capacité à faire confiance aux initiatives et expérimentations portées, chaque jour, par les acteurs de terrain.

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