Identifier la réalité de la demande de soins : outils et constats

Adapter la permanence des soins à la demande locale n’est pas qu’une problématique de planning, c’est avant tout l’enjeu d’un ajustement permanent à l’évolution des besoins des territoires. Dans un contexte de démographie médicale tendue – en 2023, la France comptait 92 médecins généralistes pour 100 000 habitants (Drees, Panorama activités et conditions d’exercice 2023) – la question de la juste présence médicale devient centrale. Encore faut-il parvenir à objectiver la demande, puis à moduler l’offre en conséquence.

Outils de recueil et d’analyse des données

  • Le Système d’Information en Santé (SI-SAMU) : il permet de cartographier précisément les appels entrants, leur typologie, l’heure, le secteur. Les rapports quotidiens, croisés à d’autres flux (urgences, MMG), offrent une photographie fidèle de l’activité hors horaires classiques.
  • Les études de flux en centres de santé et hôpitaux locaux : souvent menées localement via les outils de gestion de rendez-vous, elles mettent en évidence :
    • L’affluence élevée entre 8h et 11h, puis un second pic en fin de journée (étude MG France, 2022).
    • Une baisse d’activité après 18h dans nombre de secteurs ruraux, à l’exception des vendredis et veilles de jours fériés.
  • Les enquêtes régionales de satisfaction menées par les ARS : elles révèlent que dans 6 cas sur 10, le public affirme connaître la maison de garde, mais seulement un quart y a déjà eu recours (ARS Occitanie, 2023).

Approche qualitative : ce que nous disent les patients

  • Le "besoin spontané" de consultation, souvent motivé par la crainte de l’attente ou d’une dégradation pendant la nuit.
  • Des pratiques qui évoluent : attentes croissantes de téléconsultation dès 17h-18h, en particulier dans les zones périurbaines (CNAMTS, 2023).

L’articulation de ces données quantitatives et qualitatives permet de resituer la notion même de continuité des soins : il ne s’agit plus seulement d’assurer une présence mais de répondre au juste besoin, là où il se manifeste réellement.

Choisir le bon modèle : permanence physique, télémédecine, ou astreinte ?

Aucun modèle de permanence n’est universel. Chaque territoire doit élaborer sa réponse en tenant compte des ressources humaines, du bassin de population et des habitudes locales. Voici les principaux modèles observés :

Modèle Caractéristiques principales Avantages Limites
Permanence physique (maison médicale de garde, PDSA*) Présence sur site en horaires étendus, relais avec le SAMU Accessibilité immédiate, réponse à l’urgence ressentie, coordination possible avec l’hôpital local Souvent sous-utilisée passé 22h, forte mobilisation des ressources humaines
Permanence par téléconsultation Créneau dédié à la visio, éventuellement avec collaboration infirmière sur site Évite le déplacement, souple, réduit l’absentéisme médical dans les gardes Difficulté d’accès pour les patients âgés, couverture réseau inégale
Astreinte téléphonique Médecin de garde joignable sur une ligne dédiée pour orienter, conseiller ou organiser un déplacement si nécessaire Réduit les déplacements inutiles, filtrage efficace, responsabilise le patient Moins rassurante, nécessite un bon échange amont avec le 15

*PDSA : Permanence des Soins Ambulatoires

Le pilotage de l’offre : ajuster sans fragiliser

L’ajustement des horaires s’apparente souvent à un exercice d’équilibriste. Trop resserrer l’offre, c’est faire peser le risque d’un report mal maîtrisé vers l’hôpital ou le SAMU, voire d’un renoncement aux soins. Trop « ouvrir », c’est risquer la sous-utilisation, la lassitude, l’épuisement des professionnels.

Principes pour un ajustement pertinent

  1. Fonder l’ajustement sur des données robustes : avant toute modification, analyser l’activité par créneau sur une période d’au moins 6 à 12 mois. Cela permet de repérer les « trous d’air » comme les pics récurrents, par jour, par saison et selon les évènements particuliers (manifestations, fêtes locales, etc.).
  2. Intégrer l’ensemble des acteurs dans la discussion : associations de patients, élus, pharmaciens, réseaux d’infirmiers. L’ajustement ne doit pas être une simple modification de planning médical, mais bien une coordination coordonnée du parcours de soins hors urgence vitale.
  3. S'assurer d'une publicité réellement efficace : nouvelle plage horaire ou point de permanence, la communication locale est le parent pauvre du dispositif. Pourtant, c’est l’un des facteurs les plus puissants pour équilibrer la charge sur le terrain (affichage, relais communal, messages sur messageries locales, implication des établissements scolaires et structures médico-sociales...)
  4. Ne pas négliger l’analyse a posteriori : toute expérimentation d’ajustement des horaires doit être suivie d’une évaluation : nombre de passages, retours d’expérience professionnels/patients, impact sur la charge du 15 et des urgences.

Des initiatives inspirantes à l’échelle locale

Certains territoires ont su concrètement adapter leur offre aux besoins, à force de dialogue et d’innovation. Tour d’horizon de quelques exemples marquants, recensés par la Fédération des Maisons de Santé, l’ARS Bretagne et l’Assurance Maladie.

  • Extension saisonnière dans les zones touristiques (Alpes, Côte Atlantique) : Pendant l’été, la densité de population locale peut doubler, voire tripler sur certains littoraux. Ainsi, certaines maisons de santé mobilisent un effectif majoré en juillet/août pour ouvrir de 8h à 22h. Ce dispositif, financé par l’ARS, est appuyé par de jeunes généralistes remplaçants et par la montée en charge de la téléconsultation en soirée (source : Fédération Maison de Santé).
  • Couverture rurale mutualisée (Creuse, Lozère) : Dans certains secteurs à faible densité, l’accès au médecin de garde se fait sur appel préalable systématique au 15, qui oriente directement vers le professionnel disponible. Les horaires ont été resserrés (par exemple : 18h-20h en semaine, 8h-18h le samedi), mais chaque créneau est réellement sollicité. On observe une baisse significative des « appels blancs » (moins de 30 %) et une charge hospitalière nocturne stable.
  • Dispositif « portes tournantes » en périurbain (Nord-Isère, Essonne) : Les Maisons Médicales se relaient sur le territoire : chaque semaine, une structure assure les consultations sans rendez-vous jusqu’à 21h, les autres concentrant sur la journée. Cela permet un rééquilibrage des ressources médicales et une répartition plus juste de la garde « incommodante » sur les équipes.

Freins persistants et leviers d’évolution

L’ajustement optimal des horaires et de la permanence est freiné par plusieurs réalités du terrain. Quelques obstacles fréquemment cités :

  • Pénurie de médecins titulaires : Difficile de maintenir une amplitude large avec des effectifs réduits, surtout dans les zones rurales et à faible attractivité.
  • Mauvais fléchage des patients : Certains usagers continuent de confondre permanence des soins et service des urgences, saturant la MMG pour des motifs qui ne relèvent pas de la médecine générale (CNOM, rapport 2022).
  • Manque de reconnaissance de la pratique de la garde : Malgré le forfait de garde, le ressenti demeure très variable et inégalitaire entre territoires, ce qui complexifie l’engagement.
  • Rigidités réglementaires : Les arrêtés ARS sont parfois peu flexibles, imposant des plages identiques à des bassins aux besoins hétérogènes.

Parmi les leviers observés, plusieurs pistes se détachent :

  • Développement des assistants médicaux ou IPA pour la gestion des demandes non programmées.
  • Renforcement de l’articulation avec les officines de garde et les réseaux paramédicaux pour filtrer et orienter les appels sans mobilisation systématique du médecin.
  • Expérimentation de créneaux “semi-ouverts” : consultations téléphoniques/vidéo jusqu’à 22h, déplacement en présentiel seulement si besoin aigu.
  • Espace numérique régional (Portail Santé, Messageries Sécurisées) : pour informer en temps réel professionnels et patients de l’organisation des gardes.

Ouverture : vers une permanence des soins repensée

Ajuster les horaires et la permanence des soins, c’est accepter qu’il n’existe pas de solution unique. Les expériences de terrain montrent l’intérêt d’une régulation fine, à la croisée de l’analyse des flux, de l’écoute des usagers et du dialogue interprofessionnel. C’est par une évaluation régulière, un partage d’expérience concrète et une adaptation pragmatique que se construit, progressivement, une permanence plus juste, moins épuisante et réellement en phase avec la demande réelle.

Cette exigence de flexibilité invite à repenser en profondeur notre modèle, à casser les routines et à impliquer les praticiens dans la co-construction des dispositifs. C’est peut-être là le plus grand défi, mais aussi l’opportunité d’une médecine générale enfin décloisonnée, agile, et résolument ancrée dans les besoins des territoires.

Sources principales : Drees, ARS Occitanie et Bretagne, Fédération des Maisons de Santé, CNAMTS, CNOM, MG France.

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